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  • La vraie histoire

    Le CNSMC, une histoire de barrage.

    ETE 1965.

    La construction du barrage de la Rance, commencée en 1961, se termine. L’avenir de l’école de voile du Touring Club de France est sombre, puisqu’une zone interdite s’étendant du barrage à l’ilot de Bizeux, comprenant donc la plage du Rosais, apparait inéluctable. Un test d’ouverture des vannes entraine une superbe pagaille dans les mouillages ; entre autres péripéties, la goélette du maire de Saint Servan, M. Huet, justement appelé « La Vagabonde » traine son corps mort vers Solidor avant d’être secourue par les HSB. Le bruit court que la base nautique du TCF serait fermée dès la fin de la saison, les responsables administratifs du Club n’envisageant aucune solution.

    Aussi, une partie des moniteurs décide, sous l’impulsion de Jean Claude Navatte, de rechercher une nouvelle implantation pour continuer à naviguer et enseigner la voile. De plus, la plupart d’entre eux cherchent à donner corps à un rêve, caboter parmi les îles anglo-normandes, autrement dit financer ce projet au moyen d’une école de dériveurs selon un modèle inspiré du Centre Nautique des Glénans en Bretagne Sud.

    Par ailleurs, les propriétaires de dériveurs, issus principalement de « vraies » familles malouines et dont les bateaux sont garés sur le terre-plein du « Club House » cherchent aussi un nouveau point de chute au sud de Solidor sur l’emprise des affaires maritimes. Mais les deux entités de la base nautique ne communiquent guère entre eux ; les « Messieurs de Saint Malo » poursuivent leurs réflexions et les moniteurs, de lignage « vacancière » de toutes origines, persistent et approfondissent leur projet.

    Dès les premiers jours de septembre, une rencontre informelle a lieu avec M. Maurice Saër, ingénieur des Phares et Balises de l’Arrondissement de Saint Malo, une forte personnalité, qui, le premier, lance l’idée « Pourquoi pas l’île de Cézembre » ? Un projet se conceptualise avec une alternative entre Cézembre et l’avant-port de Saint-Malo.

    HIVER 1965-66, hiver de tous les possibles.

    Un leader, Jean Claude Navatte, qui luttera inlassablement, de septembre à juin, tout en persévérant dans ses études scientifiques.

    Un environnement malouin bienveillant, hors « souchiens » au sens de M. Finkielkraut :

    • M. Saër, convaincu de l’intérêt du projet, ouvre des portes et réussit à convaincre les administrations que le plan d’eau au sud de Cézembre est adapté. Certes exposé aux vents d’est à ouest, aux forts courants et parsemé de quelques « cailloux » épars, dont les « Bonshommes », ancrés dans la mémoire de certains, mais aussi pédagogique pour la formation de l’esprit marin.
    • M. Raoult, Président des Vedettes Vertes, compagnie de navigation titulaire de l’exclusivité du transport vers l’île, donne son accord à l’installation de l’école, quitte à bousculer les horaires de ses vedettes et les adapter aux besoins exprimés. Il offre également les services de son incomparable « cheville ouvrière », Mlle Marguerie qui est alors désignée pour centraliser toutes les inscriptions et les démarches administratives correspondantes. Il sut, aussi, présenter, avec tact, ces nouveaux conquérants à Mme Hurst, « patronne » bourrue, mais surtout bienveillante, du « Repaire des Corsaires », le café restaurant de l’île.
    • M. Brosselin, dont Jean Claude Navatte capte la confiance sous la haute surveillance de Mme Brosselin, engage la construction de quatre « caravelles » (4,60m x 1,80m x 210kg), dériveur école emblématique du Centre Nautique des Glénans. Dessiné en 1953 par l'architecte naval Jean-Jacques Herbulot, Philippe Viannay, fondateur du CNG, avait deviné les qualités marines de ce voilier rustique au-delà de sa simplicité de construction. Capable d’embarquer six ou sept équipiers, il autorise l’apprentissage des rudiments de la voile en toute sécurité.
    • La Municipalité de Saint-Malo, à la recherche d’une « solution voile » pour son centre d’accueil des jeunes, saisit l’opportunité. Dès lors, l’école, qui devait s’appeler CNC, Centre Nautique de Cézembre, devient CNSMC, Centre Nautique Saint-Malo Cézembre. Ainsi, elle facilitera l’appui des HSB, Hospitalier Sauveteur Breton, devenu SNSM, Société National des Sauveteurs en Mer.
    • Le Secrétariat Départemental de la Jeunesse et des Sports aide à la création par l’intermédiaire de Mme Dervieux.
    • M. Datin et M. Loiset, son successeur, agent d’assurances UAP, assurent le matériel et la responsabilité civile. Un rôle important, tant ils savent transformer une « fortune de mer », plus communément appelée une « bêtise de moniteur(s) », en récit épique où la fatalité autorisait le remboursement sans sourciller de la compagnie… Ils furent de grands pédagogues dans l’art de rédiger un rapport de mer où la fiction dépasse la réalité.
    • M. Paul Colin, cadre dirigeant du groupe de presse Amaury « L’Equipe - Le Parisien Libéré » et aussi père de François, moniteur des Glénans, offre un appui logistique, telle la fourniture des gilets de sauvetage, indispensables pour la sécurité, et des modules publicitaires. Homme d’influence, frère d’André Colin, ancien ministre et député du Finistère, ami d’Hélène et Philippe Viannay dont il accompagna la création des Glénans, dans la mouvance de la Résistance et de la Démocratie Chrétienne, alors triomphante en Bretagne, il apparait alors comme la statue du Commandeur.
    • Les premiers moniteurs, Anne Kohler, Laure Kohler, Pierre Kohler, Hervé Berthou, Yves Dervieux, François Colin, André Le Bellec, Lucien Desert, Florence Leroy, Jean Paul Penven, secondent Jean Claude Navatte, et aussi Paul Fort ; mais comme deux crocodiles ne peuvent subsister dans le même marigot, le combat cesse dans un ultime paroxysme ; l’énergie sombre de Jean Claude Navatte provoque parfois des tensions …
    • Enfin, les parents des moniteurs prêtent le capital nécessaire à l’achat des bateaux et au démarrage du Club.
    • Un calendrier serré:
    •  Septembre 1965 : Présentation du projet
    • Octobre 1965 : M. Saër fait valider le plan d’eau de Cézembre, un quadrilatère délimité par la plage sud de l’île, le banc rocheux des Herbiers, les deux bouées latérales rouge du chenal principal d’accès au port de Saint Malo, les Clefs d’Aval et les Pierres Garnier.
    • Novembre 1965 : Accord de M. Raoult.
    • Janvier 1966 : Création du CNC qui deviendra CNSMC.
    • Mars 1966 : Dépôt des statuts, largement inspirés de ceux du Centre Nautique des Glénans.
    • Avril 1966 : Ouverture du CCP.
    • Juin 1966 : Livraison des bateaux par le chantier Brosselin, juste avant l’ouverture.
    • Juillet/Août 1966 : Première saison avec quatre caravelles, α β δ ε et une louée à la ville de St Malo, γ, dotée d’un moteur hors-bord Evinrude de 9,9 chevaux et affectée à la sécurité.
    • Septembre 1966 : Premier hivernage de la flottille dans le chantier naval des « Vedettes Vertes » à La Richardais. Hangars vétustes au milieu des herbes folles, sur les bords de Rance, deuxième anse après le barrage, le lieu est charmant et romantique. Les bateaux sont bien à l’abri pour passer l’hiver et attendre le printemps de leur renouveau. Désormais un stage d’entretien est organisé traditionnellement lors des vacances de Pâques, souvent sous la direction de Franck Bourdillon. Menues réparations, ponçage à l’huile de coude et peinture rouge deux couches, sont au programme. Le convoyage de retour sur l’île, à la queue leu leu, est systématiquement planifié fin juin.  


    ET APRES.

    • Agrément du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports. L’école se développe avec l’achat de quatre « vauriens » (4,08m x 1,48m x 95kg). Dessiné également pour le Centre Nautique des Glénans par Jean Jacques Herbulot en 1951, il complète la formation pour deux, voir trois équipiers, sous la direction des moniteurs installés dans la « caravelle à moteur ». Enfin, un dériveur dit de compétition renforce la flotte, un « 470 » (4,70m x 1,70m x 120kg), dessiné en 1962 par André Cornu. Doté d’un trapèze et d’un spi, il est série olympique depuis 1976. Armé le plus souvent par Jean Paul Penven, il servait d’exutoire de sensations fortes aux plus intrépides des moniteurs. Face à un tel développement, il devient nécessaire de renforcer les moyens de sécurité ; un robuste canot breton, « La Marie Rose », « La Rosie » pour les intimes, est achetée d’occasion. Equipée d’un moteur diesel « in board » d’une quinzaine de chevaux, sa silhouette pataude, parfois grée avec sa voile au tiers rouge brique à bordure libre, rassure les stagiaires effarouchés. Le moniteur de service sait s’entourer de créatures de rêve que sa mâle assurance impressionnait. Seule, la « Marie Rose », a un mouillage permanent sur une bouée à une encablure au sud de la plage, tous les autres bateaux étant remontés en fin d’après-midi, à dos d’homme, au-delà de la laisse de haute mer.
    • Premier marqueur du rêve initial, achat d’un « mousquetaire », le « Cézembre » (6,48m x 2,30m x 0,76/1,34m x 950kg), construit en série depuis 1963 par le Chantier Stephan à Concarneau. Dessiné aussi par Jean Jacques Herbulot pour le Centre Nautique des Glénans, il comprend cinq couchettes et permet des croisières d’une semaine dans le bassin des îles Anglo-Normandes, de Bréhat à Aurigny. Sans moteur, mais avec une godille, il sensibilise, avec une certaine acuité, aux interactions entre vents et courants. Maints équipages se souviennent d’avoir tiré des bords carrés devant le feu de la pointe Saint Martin, marque d’atterrage à Guernesey, alors qu’ils ont imaginé arriver avant la fermeture des Pub à Saint Pierre Port.
    • Achat d’occasion d’un deuxième bateau de croisière, le « sansonnet », plan de Georges Auzépy-Brenneur (6,27m x 2,04m x 1,10m x 620 kg), malgré l’opposition de plusieurs moniteurs. Il ne fut jamais digne de porter un autre nom que « Sansonnet ». En effet, pour naviguer sur ce « navire », il valait mieux être imprégné des évangiles plutôt que du cours de navigation des Glénans. Mais Jean Claude Navatte, l’obstiné, se révèle alors têtu et fait affaire avec M. XXXX, père d’un moniteur. En tout état de cause, l’activité croisière est pleinement active et les équipages se succèdent tous les samedis.
    • Le canot breton de sécurité « Marie Rose » a besoin d’un reconditionnement en pleine saison. Raymond Labbé, grande figure malouine, grand ami du célèbre architecte naval John Illingworh, dont il construisit certains de ses voiliers vainqueurs au RORC, grand ami aussi d’Éric Tabarly qui lui confia la construction de doris pour les régates de Chausey, conseiller écouté lors de la reconstruction de la Frégate « L’Hermione », accueillit volontiers la coque fatiguée. Jacques Rivière et Yves Dervieux, eu égard à leur ancienneté et compétence, sont délégués aux réparations. Jacques Rivière, adepte de solutions modernes et efficaces, propose de décaper la coque au chalumeau plutôt que s’échiner à un ponçage rébarbatif. Le soir même, les deux spécialistes, quittent le chantier, fiers du devoir accompli. Le lendemain matin, ils sont reçus par Raymond Labbé lui-même, vaguement revêche qui les emmène voir directement la coque de « Marie Rose », un trou béant à hauteur de l’étrave ; « l’effet Marie Rose » n’atteint pas les dimensions cataclysmiques de « l’effet Notre-Dame ». M. Labbé invite alors les deux techniciens à poncer, tout simplement à poncer ; et ils poncèrent … Ainsi va le Club, au bord de catastrophes, mais sans jamais les atteindre. Ainsi encore, le déminage de la plage par des moniteurs dont nous tairons le nom : un obus d’une trentaine de centimètres, à demi enfoui, encombre la plage là où, justement débarquent stagiaires et moniteurs ; pressentant des remarques désobligeantes de stagiaires inquiets, une équipe de moniteurs rompus au déminage, prennent la décision de déménager l’encombrant objet, soit le déposer délicatement dans la plate au milieux des rouleaux écumants, le transporter à la godille jusqu’à « la Rosie », se balançant dans le clapot, enfin bazarder le bibelot au-dessus des « Herbiers ». Le principe de précaution n’étant inscrit dans la constitution que depuis 2005, il y a donc prescription.
    • La « Marie Rose », devenue sénile après une utilisation intensive, et marquée par l’aventure précédente, a besoin d’être remplacée. Un nouveau modèle, du même type et fort ressemblant, est commandé à un chantier de Paimpol. Yves Dervieux et Dominique Secretin se chargent de le convoyer vers Saint-Malo. Après un café-calva matinal dans un bistrot pour régler les dernières formalités, la navigation à vue, voile et moteur, est d’une grande simplicité : chenal de la Jument, le Grand Léjon, le Cap Fréhel, le Grand Jardin, les Pierres Garnier et enfin le mouillage devant l’île.
    • A l’issue de la saison estivale, il est décidé de donner une dimension nouvelle à l’école de croisière, et pour se faire, de lancer une souscription auprès des moniteurs, qui peuvent engager quelques menus ressources ou bénéficier de prêts étudiants.
    • Achat d’un troisième bateau de croisière, un « cognac » (7,35m x 2,72 x 1,40m x 1600kg), plan Philippe Harlé de 1966. Baptisé « Festivius », du nom d’un moine ayant dirigé une école monastique sur l’île selon les recherches de Denis Bertrand, il embarque jusqu’à sept équipiers, bien que n’ayant que six couchettes … Performant au près, très marin, il pouvait être volage sous spi dans la brise. Ce fut un court moment de grâce, où trois bateaux du Club voguent parmi les îles anglo-normandes. Las, fin juillet, un coup de vent, bref mais sévère, pousse le mousquetaire « Cézembre » sur la plage de la Guimorais, à proximité immédiate de l’entrée du Havre de Rothéneuf. Il est totalement brisé, et ne doit subsister aujourd’hui qu’un bout de quille en fonte engloutit dans les sables …
    • Comme un grain de sud-ouest, violent et éphémère, ciel gris et mer blanche, les moniteurs se mettent en grève (!) sous l’égide de Bertrand Desprez de la Morlaix, orateur bègue jouissant d’un charisme paradoxal. « Les moniteurs devaient être payés, en reconnaissance de leurs efforts ». Yves Dervieux, alors Président, se déplace « en urgence » à Saint Malo, pour rencontrer « d’homme à homme » l’intrépide meneur, au Café de l’Ouest, un samedi matin. La discussion est simple :
    • Le « Business plan » n’a jamais prévu la moindre rémunération des moniteurs, sauf celle d’un Chef de Centre titulaire d’un brevet spécialisé exigé par la Fédération Française de Voile pour maintenir son agrément.
    • C’est totalement contraire aux principes fondateurs du Club.

    Quelque peu piteusement, les moniteurs reprennent leurs activités dès le lundi suivant. Mais une réelle cassure est intervenue, et précipite une confusion mentale dans les esprits, bien loin des idéaux initiaux.

    • Le Club est en mode survie. L’école de croisière fonctionne encore avec assiduité et à la satisfaction de tous. « Festivius » vieillit bien.
    • C’est une lente déliquescence, sous fond de « fumette » et de surveillance policière…
    • Printemps 1979 : Clôture du CCP. Un limbe mystérieux entoure cette fin tristounette. Que sont devenus les actifs ? Une seule certitude, le Club n’a laissé aucune dette, et notamment, tous ses emprunts scrupuleusement remboursés.

    En forme de conclusion, pensons à toutes celles et ceux, qui arrivés solitaires repartirent à deux, unis pour la vie.

     

    • Contributeurs: Anne Kohler, Lucien Desert, Yves & Guenhaële Dervieux.